La langue française n’est pas une arme : le fond l’emporte sur la forme

Ces dernières semaines, j’ai reçu des remarques parce que mes commentaires LinkedIn contenaient des fautes. Certaines personnes en ont profité pour douter de mon métier d’écrivain public et de la qualité de ma clientèle. Sauf qu’un commentaire tapé en 30 secondes n’est pas un audit rédigé en plusieurs jours. Ce fétichisme du « zéro faute » confond vitesse et rigueur, contexte et compétence.

Maîtrise du français : Trois scènes qui disent tout

1) Le commentaire « crime parfait ».

Sous plusieurs posts, des personnes ont attaqué mes erreurs de frappe… jusqu’à mettre en doute ma crédibilité. On oublie qu’un commentaire à chaud n’a pas la même charge cognitive qu’un business plan ou un audit de communication inclusive.

2) Le français comme 4e ou 5e langue.

La fiancée de mon frère, norvégienne, parle allemand, anglais, a des bases de swahili et apprend le français. Oui, il y a des fautes. Pourtant, sa pensée passe. Sa confiance linguistique vacille parce qu’elle lit partout qu’une « bonne » locutrice ne devrait jamais se tromper — même en cours de FLE (français langue étrangère).

3) Les métiers de la correction existent.

Je ne prétends pas maîtriser toutes les subtilités du français. C’est le métier des correctrices et correcteurs — lisez Mélany Bigot ou Mathilde Ceylan : leur exigence est un travail à part entière. Mon cœur de métier : mettre des mots justes pour produire l’effet utile, en particulier sur les sujets diversité, équité, inclusion.

Quand la langue devient un instrument de domination

  • Policing grammatical : la police de la grammaire intervient partout, tout le temps, pour disqualifier la personne plutôt que d’écouter le message.

  • Gatekeeping institutionnel : des candidatures sont écartées au motif d’une « maîtrise insuffisante », comme si la fiabilité se lisait d’abord à l’orthographe.

En sociolinguistique, cela a des noms

  • Glottophobie : discrimination fondée sur la façon de parler/écrire (accent, variété, « écarts » à la norme).

  • Insécurité linguistique : sentiment d’infériorité qui pousse à se taire, à s’autocensurer ou à surcorriger pour « faire standard ».

Avec Bourdieu, on peut le formuler ainsi : la langue fonctionne comme capital linguistique et véhicule de domination symbolique. La « bonne » manière de parler devient sésame ; les autres variétés sont suspectes. L’important n’est pas que les mots ; c’est qui parle, où, et avec quel pouvoir.

Maîtriser une langue, c’est la fidélité de la compréhension

Maîtriser une langue = transmettre un message compris fidèlement par le ou la destinataire — pas seulement « zéro faute ».

Cette définition décentre la performance de la norme vers la réception. Elle permet d’évaluer la communication sur ce qui compte : l’intelligibilité, l’utilité, l’impact.

Des outils éprouvés pour une communication inclusive

1) Langage clair

  • Objectif explicite dès le début

  • Phrases courtes, vocabulaire courant, voix active

  • Structure lisible (titres, listes, paragraphes courts)

  • Tests d’utilisabilité : vérifier que la cible comprend et peut agir

Des administrations et entreprises adoptent ces principes ; la norme ISO 24495-1 en formalise les repères.

2) FALC — Facile à lire et à comprendre

  • Méthode née pour des publics avec difficultés de compréhension, utile à toutes et tous

  • Co-conception avec les personnes concernées, pictogrammes, étapes claires

  • Idéal pour notices, procédures, courriers, formulaires

3) Validation de compréhension

  • Demander « Dites-le-moi avec vos mots »

  • Reformuler ce qui a été compris

  • Itérer jusqu’à alignement du message avec sa compréhension

4) Écriture inclusive (un outil parmi d’autres)

  • Viser visibilisation et lisibilité

  • Adapter au support (mail interne ≠ rapport public ≠ formulaire)

  • Ne pas laisser le débat typographique occulter l’enjeu principal : l’accessibilité du sens

Recruter sans exclure : une grille simple

À évaluer en priorité

  • Clarté du message (peut-on résumer ce que la personne dit ?)

  • Pertinence par rapport au poste (idées, méthodes, livrables)

  • Capacité d’adaptation (registre, canal, public)

  • Collaboration (écoute, reformulation, feedback)

À relativiser

  • Orthographe et micro-écarts en contexte informel (chat, commentaire, prise de note rapide)

  • Variations de registre ou accent qui ne nuisent pas à la compréhension

Gestes concrets en entretien

  • Proposer un exercice de reformulation plutôt qu’une dictée

  • Laisser le choix écrit/oral, synchrone/asynchrone

  • Communiquer le cadre et le barème à l’avance

Trois gestes anti-gatekeeping linguistiques

  • Ralentir pour clarifier : un message = un objectif = une action attendue.

  • Tester au lieu de corriger : demander ce qui est compris avant d’imposer la « bonne » forme.

  • Co-concevoir : impliquer des étudiantes et étudiants du français langue étrangère, dys (dyslexie, dysorthographie, dysphasie), allophones, etc., dès la conception.

En bref

On peut aimer la langue sans s’en servir pour trier les individus. Aux recruteuses et recruteurs, aux institutions : évaluez le fond, l’intelligibilité, l’adéquation au poste. Le vrai professionnalisme, c’est faire comprendre et faire agir.

Sources de l’article

Article originellement paru sur mon profil LinkedIn le 20 août 2025.

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